La Bête humaine
La Bête humaine (paragraphe n°408)
Chapitre III
Six heures sonnaient. Roubaud sortit de la halle couverte, d'un pas de promenade ; et, dehors, ayant devant lui l'espace, il leva la tête, il respira, en voyant que l'aube se levait enfin. Le vent du large avait achevé de balayer les brumes, c'était le clair matin d'un beau jour. Il regarda vers le nord la côte d'Ingouville, jusqu'aux arbres du cimetière, se détacher d'un trait violacé sur le ciel pâlissant ; ensuite, se tournant vers le midi et l'ouest, ilremarqua, au-dessus de la mer, un dernier vol de légères nuées blanches, qui nageaient lentement en escadre ; tandis que l'est tout entier, la trouée immense de l'embouchure de la Seine, commençait à s'embraser du lever prochain de l'astre. D'un geste machinal, il venait d'ôter sa casquette brodée d'argent, comme pour rafraîchir son front dans l'air vif et pur. Cet horizon accoutumé, le vaste déroulement plat des dépendances de la gare, à gauche l'arrivage, puis le Dépôt des machines, à droite l'expédition, toute une ville, semblait l'apaiser, le rendre au calme de sa besogne quotidienne, éternellement la même. Par-dessus le mur de la rue Charles-Laffitte, des cheminées d'usine fumaient, on apercevait les énormes tas de charbon des entrepôts, qui longent le bassin Vauban. Et une rumeur montait déjà des autres bassins. Les coups de sifflet des trains de marchandises, le réveil et l'odeur du flot apportés dans le vent, le firent songer à la fête du jour, à ce navire qu'on allait lancer et autour duquel la foule s'écraserait.