La Bête humaine
La Bête humaine (paragraphe n°407)
Chapitre III
Quand Roubaud se trouva seul sur le quai, il revint lentement vers le train de Montivilliers, qui attendait. Les portes des salles furent ouvertes, des voyageurs parurent, quelques chasseurs avec leurs chiens, deux ou trois familles de boutiquiers profitant du dimanche, peu de monde en somme. Mais, ce train-là parti, le premier de la journée, il n'eut pas de temps à perdre, il dut immédiatement faire former l'omnibus de cinq heuresquarante-cinq, un train pour Rouen et Paris. A cette heure matinale, le personnel étant peu nombreux, la besogne du sous-chef de service se compliquait de toutes sortes de soins. Lorsqu'il eut surveillé la manœuvre, chaque voiture prise au remisage, mise sur le chariot que des hommes poussaient et amenaient sous la marquise, il dut courir à la salle de départ, donner un coup d'œil à la distribution des billets et à l'enregistrement des bagages. Une querelle éclatait entre des soldats et un employé, qui nécessita son intervention. Pendant une demi-heure, parmi les courants d'air glacé, au milieu du public grelottant, les yeux gros encore de sommeil, dans cette mauvaise humeur d'une bousculade en pleines ténèbres, il se multiplia, n'eut pas une pensée à lui. Puis, le départ de l'omnibus ayant déblayé la gare, il se hâta de se rendre au poste de l'aiguilleur, s'assurer que tout allait bien de ce côté, car un autre train arrivait, le direct de Paris, qui avait du retard. Il revint assister au débarquement, attendit que le flot des voyageurs eût rendu les billets et se fût empilé dans les voitures des hôtels, qui, en ce temps-là, entraient attendre sous la marquise, séparées de la voie par une simple palissade. Et, alors seulement, il put souffler un instant, dans la gare redevenue déserte et silencieuse.