La Bête humaine
La Bête humaine (paragraphe n°175)
Chapitre I
Du lit où elle restait assise, Séverine le suivait toujours de ses grands yeux. Dans la calme affection de camarade qu'elle avait eue pour lui, il l'apitoyait déjà, par la douleur démesurée où elle le voyait. Les gros mots, les coups, elle les aurait excusés, si cet emportement fou lui avait laissé moins de surprise, une surprise dont elle ne revenait pas encore. Elle, passive, docile, qui toute jeune s'était pliée aux désirs d'un vieillard, qui plus tard avaitlaissé faire son mariage, simplement désireuse d'arranger les choses, n'arrivait pas à comprendre un tel éclat de jalousie, pour des fautes anciennes, dont elle se repentait ; et, sans vice, la chair mal éveillée encore, dans sa demi-inconscience de fille douce, chaste malgré tout, elle regardait son mari aller, venir, tourner furieusement, comme elle aurait regardé un loup, un être d'une autre espèce. Qu'avait-il donc en lui ? Il y en avait tant sans colère ! Ce qui l'épouvantait, c'était de sentir l'animal, soupçonné par elle depuis trois ans, à des grognements sourds, aujourd'hui déchaîné, enragé, prêt à mordre. Que lui dire, pour empêcher un malheur ?