La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1701)

Chapitre X

Ce matin-là, Jacques avait souri à Séverine, quand elle était descendue sur le quai, au Havre, pour l'express, ainsi que chaque semaine. A quoi bon se gâter la vie de cauchemars ? Pourquoi ne pas profiter des jours heureux, lorsqu'il s'en présentait ? Tout finirait par s'arranger peut-être. Et à était résolu à goûter au moins la joie de cette journée, faisant des projets, rêvant de déjeuner avec elle au restaurant. Aussi, comme elle lui jetait un coup d'œil désolé, parce qu'il n'y avait pas de wagon de première en tête, et qu'elle était forcée de se mettre loin de lui, à la queue, avait-il voulu la consoler en lui souriant si gaiement. On arriverait toujours ensemble, on se rattraperait, là-bas, d'avoir été séparé. Même, après s'être penché pour la voir monter dans un compartiment, toutau bout, il avait poussé la belle humeur jusqu'à plaisanter le conducteur-chef, Henri Dauvergne, qu'il savait amoureux d'elle. La semaine précédente, il s'était imaginé que celui-ci s'enhardissait et qu'elle l'encourageait, par un besoin de distraction, voulant échapper à l'existence atroce qu'elle s'était faite. Roubaud le disait bien, elle finirait par coucher avec ce jeune homme, sans plaisir, dans l'unique envie de recommencer autre chose. Et Jacques avait demandé à Henri pour qui donc, la veille, caché derrière un des ormes de la cour du départ, il envoyait des baisers en l'air ; ce qui avait fait éclater d'un gros rire Pecqueux, en train de charger le foyer de la Lison, fumante, prête à partir.

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