La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1139)

Chapitre VII

Après Harfleur, commença la grande rampe de trois lieues qui va jusqu'à Saint-Romain, la plus forte de toute la ligne. Aussi le mécanicien se remit-il à la manœuvre, très attentif, s'attendant à un fort coup de collier, pour monter cette côte, déjà rude par les beaux temps. La main sur le volant du changement de marche, il regardait fuir les poteaux télégraphiques, tâchant de se rendre compte de la vitesse. Celle-ci diminuait beaucoup, la Lison s'essoufflait, tandis qu'on devinait le frottement des chasse-neige, à une résistance croissante. Du bout du pied, il rouvrit la porte ; et le chauffeur, ensommeillé, comprit, poussa le feu encore, afin d'augmenter la pression. Maintenant, la porte rougissait, éclairait leurs jambes à tous deux d'une lueur violette. Mais ils n'en sentaient pas l'ardente chaleur, dans le courant d'air glacé qui les enveloppait. Sur un geste de son chef, le chauffeur venait aussi de lever la tige du cendrier, ce qui activait le tirage. Rapidement, l'aiguille du manomètre était remontée à dix atmosphères, la Lison donnait toute la force dont elle était capable. Même, un instant, voyant le niveau d'eau baisser, le mécanicien dut faire mouvoir le petit volant de l'injecteur, bien que cela diminuât lapression. Elle se releva d'ailleurs, la machine ronflait, crachait, comme une bête qu'on surmène, avec des sursauts, des coups de reins, où l'on aurait cru entendre craquer ses membres. Et il la rudoyait, en femme vieillie et moins forte, n'ayant plus pour elle la même tendresse qu'autrefois.

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