La Bête humaine

La Bête humaine (paragraphe n°1134)

Chapitre VII

Jusqu'à la station d'Harfleur, la Lison fila d'une bonne marche continue. La couche de neige tombée ne préoccupait pas encore Jacques, car il y en avait au plus soixante centimètres, et le chasse-neige en déblayait aisément un mètre. Il était tout au souci de garder sa vitesse, sachant bien que la vraie qualité d'un mécanicien, après la tempérance et l'amour de sa machine, consistait à marcher d'une façon régulière, sans secousse, à la plus haute pression possible. Même, son unique défaut était là, dans un entêtement à ne pas s'arrêter, désobéissant aux signaux, croyant toujours qu'il aurait le temps de dompter la Lison : aussi, parfois, allait-il trop loin, écrasait lespétards, " les cors au pied ", comme on dit, ce qui lui avait valu deux fois des mises à pied de huit jours. Mais, en ce moment, dans le grand danger où il se sentait, la pensée que Séverine était là, qu'il avait charge de cette chère existence, décuplait la force de sa volonté, tendue toute là-bas, jusqu'à Paris, le long de cette double ligne de fer, au milieu des obstacles qu'il devait franchir.

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