La Bête humaine
La Bête humaine (paragraphe n°1087)
Chapitre VI
Séverine, elle aussi, s'abandonnait, bien heureuse, délivrée d'une lutte dont elle ne comprenait plus la raison. Pourquoi s'était-elle donc refusée si longtemps ? Elle s'était promise, elle aurait dû se donner, puisqu'elle ne devait y avoir que plaisir et douceur. Maintenant, elle comprenait bien qu'elle en avait toujours eu l'envie, même lorsqu'il lui semblait si bon d'attendre. Son cœur, son corps ne vivaient que d'un besoin d'amour, absolu, continu, et c'était une cruauté affreuse, ces événements qui la jetaient, effarée, à toutes ces abominations. Jusque-là, l'existence avait abusé d'elle, dans la boue, dans le sang, avec une violence telle, que ses beaux yeux bleus, restés naïfs, en gardaient un élargissement de terreur, sous son casque tragique de cheveux noirs. Et elle était restée vierge malgré tout, elle venait de se donner pour la première fois, à ce garçon, qu'elle adorait, dans le désir de disparaître en lui, d'être sa servante. Elle lui appartenait, il pouvait disposer d'elle, à son caprice.