L'Œuvre
L'Œuvre (paragraphe n°880)
Chapitre V
En effet, un homme obèse était là, campé fortement sur ses grosses jambes, et s'admirant. La tête dans lesépaules, il avait une face épaisse et belle d'idole hindoue. On le disait fils d'un vétérinaire des environs d'Amiens. A quarante-cinq ans, il était déjà l'auteur de vingt chefs-d'œuvre, des statues simples et vivantes, de la chair bien moderne, pétrie par un ouvrier de génie, sans raffinement ; et cela au hasard de la production, donnant ses œuvres comme un champ donne son herbe, bon un jour, mauvais le lendemain, dans l'ignorance absolue de ce qu'il créait. Il poussait le manque de sens critique jusqu'à ne pas faire de distinction, entre les fils les plus glorieux de ses mains, et les détestables magots qu'il lui arrivait de bâcler parfois. Sans fièvre nerveuse, sans un doute, toujours solide et convaincu, il avait un orgueil de dieu.