L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°822)

Chapitre V

Alors, ils vaguèrent tous les cinq, le nez en l'air, coupés par une poussée, réunis par une autre, emportés au fil du courant. Une abomination de Chaîne les arrêta, un Christ pardonnant à la femme adultère, de sèches figures taillées dans du bois, d'une charpente osseuse violaçant la peau, et peintes avec de la boue. Mais, à côté, ils admirèrent une très belle étude de femme, vue de dos, les reins saillants, la tête tournée. C'était, le long des murs, un mélange de l'excellent et du pire, tous les genres confondus, les gâteux de l'école historique coudoyant les jeunes fous du réalisme, les simples niais restés dans le tas avec les fanfarons de l'originalité, une Jézabel mortequi semblait avoir pourri au fond des caves de l'Ecole des beaux-arts, près de la Dame en blanc, très curieuse vision d'un œil de grand artiste, un immense Berger regardant la mer, fable, en face d'une petite toile, des Espagnols jouant à la paume, un coup de lumière d'une intensité splendide. Rien ne manquait dans l'exécrable, ni des tableaux militaires aux soldats de plomb, ni l'Antiquité blafarde, ni le Moyen Age sabré de bitume. Mais, de cet ensemble incohérent, des paysages surtout, presque tous d'une note sincère et juste, des portraits encore, la plupart très intéressants de facture, il sortait une bonne odeur de jeunesse, de bravoure et de passion. S'il y avait moins de mauvaises toiles au Salon officiel, la moyenne y était à coup sûr plus banale et plus médiocre. On se sentait là dans une bataille, et une bataille gaie, livrée de verve, quand le petit jour naît, que les clairons sonnent, que l'on marche à l'ennemi avec la certitude de le battre avant le coucher du soleil.

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