L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°68)

Chapitre I

Cependant, de vagues raisonnements recommençaient à bourdonner en lui, dans son application au travail. Qui pouvait-elle être ? A coup sûr, pas une gueuse, comme il l'avait pensé, car elle était trop fraîche. Mais pourquoi lui avait-elle conté une histoire si peu croyable ? Et il imaginait d'autres histoires : une débutante tombée à Paris avec un amant, qui l'avait lâchée ; ou bien une petite bourgeoise débauchée par une amie, n'osant rentrer chez ses parents ; ou encore un drame plus compliqué, des perversions ingénues et extraordinaires, des choses effroyables qu'il ne saurait jamais. Ces hypothèses augmentaient son incertitude, il passa à l'ébauche du visage, en l'étudiant avec soin. Le haut était d'une grande bonté, d'une grande douceur, le front limpide, uni comme un clair miroir, le nez petit, aux fines ailes nerveuses ; et l'on sentait le sourire des yeux sous les paupières, un sourire qui devait illuminer toute la face. Seulement, le bas gâtait ce rayonnement de tendresse, la mâchoire avançait, les lèvres trop fortes saignaient, montrant des dents solides et blanches. C'était comme un coup de passion, la puberté grondante et qui s'ignorait, dans ces traits noyés, d'une délicatesse enfantine.

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