L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°568)

Chapitre III

Claude acheva de se monter, ce fut un enthousiasme général. Oui, oui, il fallait faire campagne ! Tous en étaient, tous se pressaient pour se mieux sentir les coudes et marcher au feu ensemble. Il n'y en avait pas un, à cette minute, qui réservât sa part de gloire, car rien ne les séparait encore, ni leurs profondes dissemblances qu'ils ignoraient, ni les rivalités qui devaient les heurter un jour. Est-ce que le succès de l'un n'était pas le succès des autres ? Leur jeunesse fermentait, ils débordaient de dévouement, ils recommençaient l'éternel rêve de s'enrégimenter pour la conquête de la terre, chacun donnant son effort, celui-là poussant celui-là, la bande arrivant d'un bloc, sur le même rang. Déjà Claude, en chef accepté, sonnait la victoire, distribuait des couronnes. Fagerolles lui-même, malgré sa blague de Parisien, croyait à la nécessité d'être une armée ; tandis que, plus épais d'appétits, mal débarbouillé de sa province, Jory se dépensait en camaraderie utile, prenant au vol des phrases, préparant là ses articles. Et Mahoudeau exagérait ses brutalités voulues, les mains convulsées, ainsi qu'un geindre dont les poings pétriraient un monde ; et Gagnière, pâmé, dégagé du gris de sa peinture, raffinait la sensation jusqu'à l'évanouissement final de l'intelligence ; et Dubuche, de conviction pesante, ne jetait que des mots, mais des mots pareils à des coups de massue, en plein milieu des obstacles. Alors, Sandoz, bien heureux, riant d'aise à les voir si unis, tous dans la même chemise, comme il disait, déboucha, une nouvelle bouteille de bière. Il aurait vidé la maison, il cria :

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