L'Œuvre
L'Œuvre (paragraphe n°349)
Chapitre III
Mais Claude, ayant poussé la porte, demeura immobile sur le seuil. La vaste salle s'étendait, avec ses quatre longues tables, perpendiculaires aux fenêtres, des tables doubles, très larges, occupées des deux côtés pardes files d'élèves, encombrées d'éponges mouillées, de godets, de vases d'eau, de chandeliers de fer, de caisses de bois, les caisses où chacun serrait sa blouse de toile blanche, ses compas et ses couleurs. Dans un coin, le poêle oublié du dernier hiver se rouillait, à côté d'un reste de coke, qu'on n'avait même pas balayé ; tandis que, à l'autre bout, une grande fontaine de zinc était pendue, entre deux serviettes. Et, au milieu de cette nudité de halle mal soignée, les murs surtout tiraient l'œil, alignant en haut, sur des étagères, une débandade de moulages, disparaissant plus bas sous une forêt de tés et d'équerres, sous un amas de planches à laver, retenues en paquets par des bretelles. Peu à peu, tous les pans restés libres s'étaient salis d'inscriptions, de dessins, d'une écume montante, jetée là comme sur les marges d'un livre toujours ouvert. Il y avait des charges de camarades, des profils d'objets déshonnêtes, des mots à faire pâlir des gendarmes, puis des sentences, des additions, des adresses ; le tout dominé, écrasé par cette ligne laconique de procès-verbal, en grosses lettres, à la plus belle place : " Le sept juin, Gorju a dit qu'il se foutait de Rome. Signé : Godemard. "