Il s'y abritait, en avait fait sa demeure, son toit. Le fracas continu des voitures, semblable à un roulement éloigné de foudre, ne le gênait plus. Installé contre la première curée, au-dessous des énormes cintres de fonte, il prenait des croquis, peignait des études. Jamais il ne se trouvait assez renseigné, il dessinait le même détail à dix reprises. Les employés de la navigation, dont les bureaux étaient là, avaient fini par le connaître ; et même la femme d'un surveillant, qui habitait une sorte de cabine goudronnée, avec son mari, deux enfants et, un chat, lui gardait ses toiles fraîches, afin qu'il n'eût pas la peine de les promener chaque jour à travers les rues. C'était une joie pour lui, ce refuge, sous ce Paris qui grondait en l'air, dont il sentait la vie ardente couler sur sa tête. Le port Saint-Nicolas le passionna d'abord de sa continuelle activité de lointain port de mer, en plein quartier de l'Institut : la grue à vapeur, la Sophie, manœuvrait, hissait des blocs de pierre ; des tombereaux venaient s'emplir de sable ; des bêtes et des hommes tiraient, s'essoufflaient, sur les gros pavés en pente qui descendaient jusqu'à l'eau, à ce bord de granit où s'amarrait une double rangée de chalands et de péniches, et, pendant des semaines, il s'était appliqué à une étude, des ouvriers déchargeant un bateau de plâtre, portant sur l'épaule les sacs blancs,laissant derrière eux un chemin blanc, poudrés de blanc eux-mêmes, tandis que, près de là, un autre bateau, vide de son chargement de charbon, avait maculé la berge d'une large tache d'encre. Ensuite, il prit le profil du bain froid, sur la rive gauche, ainsi qu'un lavoir à l'autre plan, les châssis vitrés ouverts, les blanchisseuses alignées, agenouillées au ras du courant, tapant leur linge. Dans le milieu, il étudia une barque menée à la godille par un marinier, puis un remorqueur plus au fond, un vapeur du touage qui se halait sur sa chaîne et remontait un train de tonneaux et de planches. Les fonds, il les avait depuis longtemps, il en recommença pourtant des morceaux, les deux trouées de la Seine, un grand ciel tout seul où ne s'élevaient que les flèches et les tours dorées de soleil. Et, sous le pont hospitalier, dans ce coin aussi perdu qu'un creux lointain de roches, rarement un curieux le dérangeait, les pêcheurs à la ligne passaient avec le mépris de leur indifférence, il n'avait guère pour compagnon que le chat du surveillant, faisant sa toilette au soleil, paisible dans le tumulte du monde d'en haut.