L'Œuvre
L'Œuvre (paragraphe n°1433)
Chapitre VIII
Claude vécut ces premiers mois dans une excitation croissante. Les courses au milieu des rues tumultueuses, les visites chez les camarades enfiévrées de discussions, toutes les colères, toutes les idées chaudes qu'il rapportait ainsi du dehors, le faisaient se passionner à voix haute, jusque dans son sommeil. Paris l'avait repris aux moelles, violemment ; et, en pleine flambée de cette fournaise c'était une seconde jeunesse, un enthousiasme et une ambition à désirer tout voir, tout faire, tout conquérir. Jamais il ne s'était senti une telle rage de travail, ni un tel espoir, comme s'il lui avait suffi d'étendre la main, pour créer les chefs-d'œuvre qui le mettraient à son rang, aupremier. Quand il traversait Paris, il découvrait des tableaux partout, la ville entière, avec ses rues, ses carrefours, ses ponts, ses horizons vivants, se déroulait en fresques immenses, qu'il jugeait toujours trop petites, pris de l'ivresse des besognes colossales. Et il rentrait frémissant, le crâne bouillonnant de projets, jetant des croquis sur des bouts de papier, le soir, à la lampe, sans pouvoir décider par où il entamerait la série des grandes pages qu'il rêvait.