L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°994)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre VII

Le lendemain dimanche, dès trois heures, maman Coupeau alluma les deux fourneaux de la maison et un troisième fourneau en terre emprunté aux Boche. A trois heures et demie, le pot-au-feu bouillait dans une grosse marmite, prêtée par le restaurant d'à côté, la marmite du ménage ayant semblé trop petite. On avait décidé d'accommoder la veille la blanquette de veau et l'épinée de cochon, parce que ces plats-là sont meilleurs réchauffés ; seulement, on ne lierait la sauce de la blanquette qu'au moment de se mettre à table. Il resterait encore bien assez de besogne pour le lundi, le potage, les pois au lard, l'oie rôtie. La chambre du fond était tout éclairée par les trois brasiers ; des roux graillonnaient dans les poêlons, avec une fumée forte de farine brûlée ; tandis que la grosse marmite soufflait des jets de vapeur comme une chaudière, les flancs secoués par des glouglous graves et profonds. Maman Coupeau et Gervaise, un tablier blanc noué devant elles, emplissaient la pièce de leur hâte à éplucher du persil, à courir après le poivre et le sel, à tourner la viande avec la mouvette de bois. Elles avaient mis Coupeau dehors pour débarrasser le plancher. Mais elles eurent quand même du monde sur le dos toute l'après-midi. Ça sentait si bon la cuisine, dans la maison, que les voisines descendirent les unes après les autres, entrèrent sous des prétextes, uniquement pour savoir ce qui cuisait ; et elles se plantaient là, en attendant que la blanchisseuse fût forcée de lever les couvercles. Puis, vers cinq heures, Virginie parut ; elle avait encore vu Lantier ; décidément, on ne mettait plusles pieds dans la rue sans le rencontrer. Madame Boche, elle aussi, venait de l'apercevoir au coin du trottoir, avançant la tête d'un air sournois. Alors, Gervaise, qui justement allait acheter un sou d'oignons brûlés pour le pot-au-feu, fut prise d'un tremblement et n'osa plus sortir ; d'autant plus que la concierge et la couturière l'effrayaient beaucoup en racontant des histoires terribles, des hommes attendant des femmes avec des couteaux et des pistolets cachés sous leur redingote. Dame, oui ! on lisait ça tous les jours dans les journaux ; quand un de ces gredins-là enrage de retrouver une ancienne heureuse, il devient capable de tout. Virginie offrit obligeamment de courir chercher les oignons brûlés. Il fallait s'aider entre femmes, on ne pouvait pas laisser massacrer cette pauvre petite. Lorsqu'elle revint, elle dit que Lantier n'était plus là ; il avait dû filer, en se sachant découvert. La conversation, autour des poêlons, n'en roula pas moins sur lui jusqu'au soir. Madame Boche ayant conseillé d'instruire Coupeau, Gervaise montra une grande frayeur et la supplia de ne jamais lâcher un mot de ces choses. Ah bien ! ce serait du propre ! Son mari devait déjà se douter de l'affaire, car depuis quelques jours, en se couchant, il jurait et donnait des coups de poing dans le mur. Elle en restait les mains tremblantes, à l'idée que deux hommes se mangeraient pour elle ; elle connaissait Coupeau, il était jaloux à tomber sur Lantier avec ses cisailles. Et, pendant que, toutes quatre, elles s'enfonçaient dans ce drame, les sauces, sur les fourneaux garnis de cendre, mijotaient doucement ; la blanquette et l'épinée, quand maman Coupeau les découvrait, avaient un petit bruit, un frémissement discret ; le pot-au-feu gardait son ronflement de chantre endormi le ventre ausoleil. Elles finirent par se tremper chacune une soupe dans une tasse, pour goûter le bouillon.

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