L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°836)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre VI

Et comme elle lui demandait si le poignet ne s'engourdissait pas à la fin de la journée, il eut un bon rire. Est-ce qu'elle le croyait une demoiselle ? Son poignet en avait vu de grises depuis quinze ans ; il étaitdevenu en fer, tant il s'était frotté aux outils. D'ailleurs, elle avait raison : un monsieur qui n'aurait jamais forgé un rivet ni un boulon, et qui aurait voulu faire joujou avec son marteau de cinq livres, se serait collé une fameuse courbature au bout de deux heures. Ça n'avait l'air de rien, mais ça vous nettoyait souvent des gaillards solides en quelques années. Cependant, les autres ouvriers tapaient aussi, tous à la fois. Leurs grandes ombres dansaient dans la clarté, les éclairs rouges du fer sortant du brasier traversaient les fonds noirs, des éclaboussements d'étincelles partaient sous les marteaux, rayonnaient comme des soleils, au ras des enclumes. Et Gervaise se sentait prise dans le branle de la forge, contente, ne s'en allant pas. Elle faisait un large détour, pour se rapprocher d'Etienne sans risquer d'avoir les mains brûlées, lorsqu'elle vit entrer l'ouvrier sale et barbu, auquel elle s'était adressée, dans la cour.

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