L'Assommoir
L'Assommoir (paragraphe n°807)
Partie : Préface de l'auteur, chapitre V
Gervaise s'était calmée, toute refroidie par les figures en coin de rue des Lorilleux. Elle n'avait jamais mis les pieds chez eux sans éprouver un malaise. Les yeux à terre, sur les losanges de la claie de bois, où tombaient les déchets d'or, elles s'expliquaient maintenant d'un air raisonnable. Maman Coupeau avait trois enfants ; si chacun donnait cent sous, ça ne ferait que quinze francs, et vraiment ce n'était pas assez, on ne pouvait pas vivre avec ça ; il fallait au moins tripler la somme. Mais Lorilleux se récriait. Où voulait-on qu'il volât quinze francs par mois ? Les gens étaient drôles, on le croyait riche parce qu'il avait de l'or chez lui. Puis, il tapait sur maman Coupeau : elle ne voulait pas se passer de café le matin, elle buvait la goutte, elle montrait les exigences d'une personne qui aurait eu de la fortune. Parbleu ! tout le monde aimait ses aises ; mais, n'est-ce pas ? quand on n'avait pas su mettre un sou de côté, on faisait comme les camarades, on se serrait le ventre. D'ailleurs, mamanCoupeau n'était pas d'un âge à ne plus travailler ; elle y voyait encore joliment clair quand il s'agissait de piquer un bon morceau au fond du plat ; enfin, c'était une vieille rouée, elle rêvait de se dorloter. Même s'il en avait eu les moyens, il aurait cru mal agir en entretenant quelqu'un dans la paresse.