L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°674)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre IV

Peu à peu, cependant, la jeune femme s'attrista. Matin et soir, elle allait, rue de la Goutte-d'Or, voir la boutique, qui était toujours à louer ; et elle se cachait, comme si elle commettait un enfantillage indigne d'une grande personne. Cette boutique recommençait à lui tourner la tête ; la nuit, quand la lumière était éteinte, elle trouvait à y songer, les yeux ouverts, le charme d'un plaisir défendu. Elle faisait de nouveau ses calculs, deux cent cinquante francs pour le loyer, cent cinquante francs d'outils et d'installation, cent francs d'avance afin de vivre quinze jours, en tout cinq cents francs, au chiffre le plus bas. Si elle n'en parlait pas tout haut, continuellement, c'était de crainte de paraître regretter les économies mangées par la maladie de Coupeau. Elle devenait toute pâle souvent, ayant failli laisser échapper son envie, rattrapant sa phrase avec la confusion d'une vilaine pensée. Maintenant, il faudrait travailler quatre ou cinq années, avant d'avoir mis de côté une si grosse somme. Sa désolation était justement de ne pouvoir s'établir tout de suite ; elle aurait fourni aux besoins du ménage, sans compter sur Coupeau, en lui laissant des mois pour reprendre goût au travail ; elle se serait tranquillisée, certaine de l'avenir, débarrassée des peurs secrètes dont elle se sentait prise parfois, lorsqu'il revenait très gai, chantant, racontant quelque bonne farce de cet animal de Mes-Bottes, auquel il avait payé un litre.

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