L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°671)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre IV

Pendant deux mois encore, Coupeau marcha avec des béquilles. Il avait d'abord pu descendre dans la rue, fumer une pipe devant la porte. Ensuite, il était allé jusqu'au boulevard extérieur, se traînant au soleil, restant des heures assis sur un banc. La gaieté lui revenait, son bagou d'enfer s'aiguisait dans ses longues flâneries. Et il prenait là, avec le plaisir de vivre, une joie à ne rien faire, les membres abandonnés, les muscles glissant à un sommeil très doux ; c'était comme une lente conquête de la paresse, qui profitait de sa convalescence pour entrer dans sa peau et l'engourdir, en le chatouillant. Il revenait bien portant, goguenard, trouvant la vie belle, ne voyant pas pourquoi ça ne durerait pas toujours. Lorsqu'il put se passer de béquilles, il poussa ses promenades plus loin, courut les chantiers pour revoir les camarades. Il restait les bras croisés en face des maisons en construction, avec des ricanements, des hochements de tête ; et il blaguait les ouvriers qui trimaient, il allongeait sa jambe, pour leur montrer où ça menait de s'esquinter le tempérament. Ces stations gouailleuses devant la besogne des autres satisfaisaient sa rancune contre le travail. Sans doute, il s'y remettrait, il le fallait bien ; mais ce serait le plus tardpossible. Oh ! il était payé pour manquer d'enthousiasme. Puis, ça lui semblait si bon de faire un peu la vache !

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