L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°599)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre IV

Les Goujet gagnaient encore à être fréquentés. Ils faisaient de grosses journées et plaçaient plus du quart de leur quinzaine à la Caisse d'épargne. Dans le quartier, on les saluait, on parlait de leurs économies. Goujet n'avait jamais un trou, sortait avec des bourgerons propres, sans une tache. Il était très poli, même un peu timide, malgré ses larges épaules. Les blanchisseuses du bout de la rue s'égayaient à le voir baisser le nez, quand il passait. Il n'aimait pas leurs gros mots, trouvait ça dégoûtant que des femmes eussent sans cesse des saletés à la bouche. Un jour pourtant, il était rentré gris. Alors, madame Goujet, pour tout reproche, l'avait mis en face d'un portrait de son père, une mauvaise peinture cachée pieusement au fond de la commode. Et, depuis cette leçon, Goujet ne buvait plus qu'à sa suffisance, sans haine pourtant contre le vin, car le vin est nécessaire à l'ouvrier. Le dimanche, il sortait avec sa mère, à laquelle il donnait le bras ; le plus souvent, il la menait du côté deVincennes ; d'autres fois, il la conduisait au théâtre. Sa mère restait sa passion. Il lui parlait encore comme s'il était tout petit. La tête carrée, la chair alourdie par le rude travail du marteau, il tenait des grosses bêtes - dur d'intelligence, bon tout de même.

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