L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°597)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre IV

Les Goujet étaient du département du Nord. La mère raccommodait les dentelles ; le fils, forgeron de son état, travaillait dans une fabrique de boulons. Ils occupaient l'autre logement du palier depuis cinq ans. Derrière la paix muette de leur vie, se cachait tout un chagrin ancien : le père Goujet, un jour d'ivresse furieuse, à Lille, avait assommé un camarade à coups de barre de fer, puis s'était étranglé dans sa prison, avec son mouchoir. La veuve et l'enfant, venus à Paris après leur malheur, sentaient toujours ce drame sur leurs têtes, le rachetaient par une honnêteté stricte, une douceur et un courage inaltérables. Même il se mêlait un peu de fierté dans leur cas, car ils finissaient par se voir meilleurs que les autres. Madame Goujet, toujours vêtue de noir, le front encadré d'une coiffe monacale, avait une face blanche et reposée de matrone, comme si la pâleur des dentelles, le travail minutieux de ses doigts, lui donnaient un reflet de sérénité. Goujet était un colosse de vingt-trois ans, superbe, le visage rose, les yeux bleus, d'une force herculéenne. A l'atelier, les camarades l'appelaient la Gueule-d'Or, à cause de sa belle barbe jaune.

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