L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°586)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre IV

On s'assit autour de la table, et le zingueur voulut verser le café lui-même. Il sentait joliment fort, ce n'était pas de la roupie de sansonnet. Quand la sage-femme eutsiroté son verre, elle s'en alla : tout marchait bien, on n'avait plus besoin d'elle ; si la nuit n'était pas bonne, on l'enverrait chercher le lendemain. Elle descendait encore l'escalier, que madame Lorilleux la traita de licheuse et de propre à rien. Ça se mettait quatre morceaux de sucre dans son café, ça se faisait donner des quinze francs, pour vous laisser accoucher toute seule. Mais Coupeau la défendait ; il allongerait les quinze francs de bon cœur ; après tout, ces femmes-là passaient leur jeunesse à étudier, elles avaient raison de demander cher. Ensuite, Lorilleux se disputa avec madame Lerat ; lui, prétendait que, pour avoir un garçon, il fallait tourner la tête de son lit vers le nord ; tandis qu'elle haussait les épaules, traitant ça d'enfantillage, donnant une autre recette, qui consistait à cacher sous le matelas, sans le dire à sa femme, une poignée d'orties fraîches, cueillies au soleil. On avait poussé la table près du lit. Jusqu'à dix heures, Gervaise, prise peu à peu d'une fatigue immense, resta souriante et stupide, la tête tournée sur l'oreiller ; elle voyait, elle entendait, mais elle ne trouvait plus la force de hasarder un geste ni une parole ; il lui semblait être morte, d'une mort très douce, du fond de laquelle elle était heureuse de regarder les autres vivre. Par moments, un vagissement de la petite montait, au milieu des grosses voix, des réflexions interminables sur un assassinat, commis la veille rue du Bon-Puits, à l'autre bout de la Chapelle.

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