L'Assommoir
L'Assommoir (paragraphe n°314)
Partie : Préface de l'auteur, chapitre II
Tous deux avaient fini par se rendre une foule de services, à l'hôtel Boncœur. Coupeau allait lui chercher son lait, se chargeait de ses commissions, portait ses paquets de linge ; souvent, le soir, comme il revenait du travail le premier, il promenait les enfants, sur le boulevard extérieur. Gervaise, pour lui rendre ses politesses, montait dans l'étroit cabinet où il couchait, sous les toits ; et elle visitait ses vêtements, mettant desboutons aux cottes, reprisant les vestes de toile. Une grande familiarité s'établissait entre eux. Elle ne s'ennuyait pas, quand il était là, amusée des chansons qu'il apportait, de cette continuelle blague des faubourgs de Paris, toute nouvelle encore pour elle. Lui, à se frotter toujours contre ses jupes, s'allumait de plus en plus. Il était pincé, et ferme ! Ça finissait par le gêner. Il riait toujours, mais l'estomac si mal à l'aise, si serré, qu'il ne trouvait plus ça drôle. Les bêtises continuaient, il ne pouvait la rencontrer sans lui crier : " Quand est-ce ? " Elle savait ce qu'il voulait dire, et elle lui promettait la chose pour la semaine des quatre jeudis. Alors, il la taquinait, se rendait chez elle avec ses pantoufles à la main, comme pour emménager. Elle en plaisantait, passait très bien sa journée sans une rougeur dans les continuelles allusions polissonnes, au milieu desquelles il la faisait vivre. Pourvu qu'il ne fût pas brutal, elle lui tolérait tout. Elle se fâcha seulement un jour où, voulant lui prendre un baiser de force, il lui avait arraché des cheveux.