L'Assommoir
L'Assommoir (paragraphe n°1956)
Partie : Préface de l'auteur, chapitre XI
Les Coupeau, devant le monde, affectèrent d'être bien débarrassés. Au fond, ils rageaient. Mais la rage n'a toujours qu'un temps. Bientôt, ils apprirent, sans même cligner un œil, que Nana roulait le quartier. Gervaise, qui l'accusait de faire ça pour les déshonorer, se mettait au-dessus des potins ; elle pouvait rencontrer sa donzelle dans la rue, elle ne se salirait seulement pas la main à lui envoyer une baffre ; oui, c'était bien fini, elle l'aurait trouvée en train de crever par terre, la peau nue sur le pavé, qu'elle serait passée sans dire que ce chameau venait de ses entrailles. Nana allumait tous les bals des environs. On la connaissait de la Reine-Blanche au Grand Salon de la folie. Quand elle entrait à l'Elysée-Montmartre, on montait sur les tables pour lui voir faire, à la pastourelle, l'écrevisse qui renifle. Comme on l'avait flanquée deux fois dehors, au Château-Rouge, elle rôdait seulement devant la porte, en attendant des personnes de sa connaissance. La Boule-Noire, sur le boulevard, et le Grand-Turc, rue des Poissonniers, étaient des sallescomme il faut où elle allait lorsqu'elle avait du linge. Mais, de tous les bastringues du quartier, elle préférait encore le Bal de l'Ermitage, dans une cour humide, et le Bal Robert, impasse du Cadran, deux infectes petites salles éclairées par une demi-douzaine de quinquets, tenues à la papa, tous contents et tous libres, si bien qu'on laissait les cavaliers et leurs dames s'embrasser au fond, sans les déranger. Et Nana avait des hauts et des bas, de vrais coups de baguette, tantôt nippée comme une femme chic, tantôt balayant la crotte comme une souillon. Ah ! elle menait une belle vie !