L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°1860)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre XI

Puis, à le retrouver sans cesse là, il ne lui parut plus si drôle. Elle avait une peur sourde de lui, elle aurait crié s'il s'était approché. Souvent, lorsqu'elle s'arrêtait devant un bijoutier, elle l'entendait tout d'un coup qui lui bégayait des choses dans le dos. Et c'était vrai ce qu'il disait, elle aurait bien voulu avoir une croix avec un velours au cou, ou encore de petites boucles d'oreilles de corail, si petites, qu'on croirait des gouttes de sang. Même, sans ambitionner des bijoux, elle ne pouvait vraiment pas rester un guenillon, elle était lasse de se retaper avec la gratte des ateliers de la rue du Caire, elle avait surtout assez de sa casquette, ce caloquet sur lequel les fleurs chipées chez Titreville faisaient un effet de gringuenaudes pendues comme des sonnettes au derrière d'un pauvre homme. Alors, trottant dans la boue, éclaboussée par les voitures, aveuglée par le resplendissement des étalages, elle avait des envies qui la tortillaient à l'estomac, ainsi que des fringales, des envies d'être bien mise, de manger dans les restaurants, d'aller au spectacle, d'avoir une chambre à elle avec de beauxmeubles. Elle s'arrêtait toute pâle de désir, elle sentait monter du pavé de Paris une chaleur le long de ses cuisses, un appétit féroce de mordre aux jouissances dont elle était bousculée, dans la grande cohue des trottoirs. Et, ça ne manquait jamais, justement à ces moments-là, son vieux lui coulait à l'oreille des propositions. Ah ! comme elle lui aurait tapé dans la main, si elle n'avait pas eu peur de lui, une révolte intérieure qui la raidissait dans ses refus, furieuse et dégoûtée de l'inconnu de l'homme, malgré tout son vice.

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