L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°1855)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre XI

Mais, un jour, rue du Faubourg-Poissonnière, le fabricant de boutons avait osé allonger son nez entre la nièce et la tante, pour murmurer des choses qui n'étaient pas à dire. Et madame Lerat, effrayée, répétant qu'elle n'était même plus tranquille pour elle, lâcha tout le paquet à son frère. Alors, ce fut un autre train. Il y eut,chez les Coupeau, de jolis charivaris. D'abord, le zingueur flanqua une tripotée à Nana. Qu'est-ce qu'on lui apprenait ? cette gueuse-là donnait dans les vieux ! Ah bien ! qu'elle se laissât surprendre à se faire relicher dehors, elle était sûre de son affaire, il lui couperait le cou un peu vivement ! Avait-on jamais vu ! une morveuse qui se mêlait de déshonorer la famille ! Et il la secouait, en disant, nom de Dieu ! qu'elle eût à marcher droit, car ce serait lui qui la surveillerait à l'avenir. Dès qu'elle rentrait, il la visitait, il la regardait bien en face, pour deviner si elle ne rapportait pas une souris sur l'œil, un de ces petits baisers qui se fourrent là sans bruit. Il la flairait, la retournait. Un soir, elle reçut encore une danse, parce qu'il lui avait trouvé une tache noire au cou. La mâtine osait dire que ce n'était pas un suçon ! oui, elle appelait ça un bleu, tout simplement un bleu que Léonie lui avait fait en jouant. Il lui en donnerait des bleus, il l'empêcherait bien de rouscailler, lorsqu'il devrait lui casser les pattes. D'autres fois, quand il était de belle humeur, il se moquait d'elle, il la blaguait. Vrai ! un joli morceau pour les hommes, une soie tant elle était plate, et avec ça des salières aux épaules, grandes à y fourrer le poing ! Nana, battue pour les vilaines choses qu'elle n'avait pas commises, traînée dans la crudité des accusations abominables de son père, montrait la soumission sournoise et furieuse des bêtes traquées.

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