L'Assommoir
L'Assommoir (paragraphe n°1791)
Partie : Préface de l'auteur, chapitre XI
Puis, quand le soleil tombait, la grande joie de ces mâtines était de s'arrêter aux faiseurs de tours. Des escamoteurs, des hercules arrivaient, qui étalaient sur la terre de l'avenue un tapis mangé d'usure. Alors, les badauds s'attroupaient, un cercle se formait, tandis que le saltimbanque, au milieu, jouait des muscles dans son maillot fané. Nana et Pauline restaient des heures debout, au plus épais de la foule. Leurs belles robes fraîches s'écrasaient entre les paletots et les bourgerons sales.Leurs bras nus, leur cou nu, leurs cheveux nus, s'échauffaient sous les haleines empestées, dans une odeur de vin et de sueur. Et elles riaient, amusées, sans un dégoût, plus roses et comme sur leur fumier naturel. Autour d'elles, les gros mots partaient, des ordures toutes crues, des réflexions d'hommes soûls. C'était leur langue, elles savaient tout, elles se retournaient avec un sourire, tranquilles d'impudeur, gardant la pâleur délicate de leur peau de satin.