L'Assommoir
L'Assommoir (paragraphe n°1521)
Partie : Préface de l'auteur, chapitre IX
Un lundi soir, Coupeau rentra paf. Depuis que sa mère était en danger, il vivait dans un attendrissement continu. Quand il fut couché, ronflant à poings fermés, Gervaise tourna encore un instant. Elle veillait mamanCoupeau une partie de la nuit. D'ailleurs, Nana se montrait très brave, couchait toujours auprès de la vieille, en disant que si elle l'entendait mourir, elle avertirait bien tout le monde. Cette nuit-là, comme la petite dormait et que la malade semblait sommeiller paisiblement, la blanchisseuse finit par céder à Lantier, qui l'appelait de sa chambre, où il lui conseillait de venir se reposer un peu. Ils gardèrent seulement une bougie allumée, posée à terre, derrière l'armoire. Mais, vers trois heures, Gervaise sauta brusquement du lit, grelottante, prise d'une angoisse. Elle avait cru sentir un souffle froid lui passer sur le corps. Le bout de bougie était brûlé, elle renouait ses jupons dans l'obscurité, étourdie, les mains fiévreuses. Ce fut seulement dans le cabinet, après s'être cognée aux meubles, qu'elle put allumer une petite lampe. Au milieu du silence écrasé des ténèbres, les ronflements du zingueur mettaient seuls deux notes graves. Nana, étalée sur le dos, avait un petit souffle, entre ses lèvres gonflées. Et Gervaise, ayant baissé la lampe qui faisait danser de grandes ombres, éclaira le visage de maman Coupeau, la vit toute blanche, la tête roulée sur l'épaule, avec les yeux ouverts. Maman Coupeau était morte.