L'Assommoir
L'Assommoir (paragraphe n°1520)
Partie : Préface de l'auteur, chapitre IX
Janvier était arrivé, un sale temps, humide et froid. Maman Coupeau, qui avait toussé et étouffé tout décembre, dut se coller dans le lit, après les Rois. C'était sa rente ; chaque hiver, elle attendait ça. Mais, cet hiver, autour d'elle, on disait qu'elle ne sortirait plus de sa chambre que les pieds en avant ; et elle avait, à la vérité, un fichu râle qui sonnait joliment le sapin, grosse et grasse pourtant, avec un œil déjà mort et la moitié de la figure tordue. Bien sûr, ses enfants ne l'auraient pas achevée ; seulement, elle traînait depuis si longtemps, elle était si encombrante qu'on souhaitait sa mort, au fond, comme une délivrance pour tout le monde. Elle-même serait beaucoup plus heureuse, car elle avait fait son temps, n'est-ce pas ? et quand on a fait son temps, on n'a rien à regretter. Le médecin, appelé une fois, n'était même pas revenu. On lui donnait de la tisane, histoire de ne pas l'abandonner complètement. Toutes les heures, on entrait voir si elle vivait encore. Elle ne parlait plus, tant elle suffoquait ; mais, de son œil resté bon, vivant et clair, elle regardait fixement les personnes ; et il y avait bien des choses dans cet œil-là, des regrets du bel âge, des tristesses à voir les siens si pressés de se débarrasser d'elle, des colères contre cette vicieuse de Nana qui ne se gênait plus, la nuit, pour aller guetter en chemise par la porte vitrée.