L'Assommoir
L'Assommoir (paragraphe n°1513)
Partie : Préface de l'auteur, chapitre IX
Vers l'automne, malheureusement, le ménage se gâta encore. Lantier prétendait maigrir, faisait un nez qui s'allongeait chaque jour. Il renaudait à propos de tout, renâclait sur les potées de pommes de terre, une ratatouille dont il ne pouvait pas manger, disait-il, sans avoir des coliques. Les moindres bisbilles, maintenant, finissaient par des attrapages, où l'on se jetait la débine de la maison à la tête ; et c'était le diable pour se rabibocher, avant d'aller pioncer chacun dans son dodo. Quand il n'ya plus de son, les ânes se battent, n'est-ce pas ? Lantier flairait la panne ; ça l'exaspérait de sentir la maison déjà mangée, si bien nettoyée, qu'il voyait le jour où il lui faudrait prendre son chapeau et chercher ailleurs la niche et la pâtée. Il était bien accoutumé à son trou, ayant pris là ses petites habitudes, dorloté par tout le monde ; un vrai pays de cocagne, dont il ne remplacerait jamais les douceurs, Dame ! on ne peut pas s'être empli jusqu'aux oreilles et avoir encore les morceaux sur son assiette. Il se mettait en colère contre son ventre, après tout, puisque la maison à cette heure était dans son ventre. Mais il ne raisonnait point ainsi ; il gardait aux autres une fière rancune de s'être laissé rafaler en deux ans. Vrai, les Coupeau n'étaient guère rablés. Alors, il cria que Gervaise manquait d'économie. Tonnerre de Dieu ! qu'est-ce qu'on allait devenir ? Juste les amis le lâchaient, lorsqu'il était sur le point de conclure une affaire superbe, six mille francs d'appointements dans une fabrique, de quoi mettre toute la petite famille dans le luxe.