L'Argent

L'Argent (paragraphe n°813)

Chapitre V

Une heure plus tard, madame Caroline, qui avait pris une voiture, errait derrière la butte Montmartre, sans pouvoir trouver la cité. Enfin, dans une des rues désertes qui se relient à la rue Marcadet, une vieille femme la désigna au cocher. C'était, à l'entrée, comme un chemin de campagne, défoncé, obstrué de boue et de détritus, s'enfonçant au milieu d'un terrain vague ; et l'on ne distinguait qu'après un coup d'œil attentif les misérablesconstructions, faites de terre, de vieilles planches et de vieux zinc, pareilles à des tas de démolitions, rangés autour de la cour intérieure. Sur la rue, une maison à un étage, bâtie en moellons celle-là, mais d'une décrépitude et d'une crasse repoussantes, semblait commander l'entrée, ainsi qu'une geôle. Et, en effet, madame Méchain demeurait là, en propriétaire vigilante, sans cesse aux aguets, exploitant elle-même son petit peuple de locataires affamés. Dès que madame Caroline fut descendue de voiture, elle la vit apparaître sur le seuil, énorme, la gorge et le ventre coulant dans une ancienne robe de soie bleue, limée aux plis, craquée aux coutures, les joues si bouffies et si rouges, que le nez petit, disparu, semblait cuire entre deux brasiers. Elle hésitait, prise de malaise, lorsque la voix très douce, d'un charme aigrelet de pipeau champêtre, la rassura.

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