L'Argent
L'Argent (paragraphe n°5)
Chapitre I
Alors, Saccard se décida, s'assit à une table que quittait un client, dans l'embrasure d'une des fenêtres. Il se croyait en retard ; et, tandis qu'on changeait la serviette, ses regards se portèrent au-dehors, épiant les passants du trottoir. Même, lorsque le couvert fut rétabli, il ne commanda pas tout de suite, il demeura un moment les yeux sur la place, toute gaie de cette claire journée des premiers jours de mai. A cette heure où le monde déjeunait, elle était presque vide : sous les marronniers, d'une verdure tendre et neuve, les bancs restaient inoccupés ; le long de la grille, à la station de voitures, la file des fiacres s'allongeait, d'un bout à l'autre ; et l'omnibus de la Bastille s'arrêtait au bureau, à l'angle du jardin, sans laisser ni prendre de voyageurs. Le soleiltombait d'aplomb, le monument en était baigné, avec sa colonnade, ses deux statues, son vaste perron, en haut duquel il n'y avait encore que l'armée des chaises, en bon ordre.