L'Argent
L'Argent (paragraphe n°299)
Chapitre II
Pendant le mois qui suivit, Saccard procura de nouveau à l'ingénieur quelques petits travaux ; et, s'il ne reparlait plus des grandes affaires, il devait y penser constamment, préoccupé, hésitant devant l'ampleur écrasante des entreprises. Mais ce qui resserra davantage le lien naissant de leur intimité, ce fut la façon toute naturelle dont madame Caroline vint à s'occuper de son intérieur d'homme seul, dévoré de frais inutiles, d'autant plus mal servi qu'il avait davantage de serviteurs. Lui, si habile au-dehors, réputé pour sa main vigoureuse et adroite dans le gâchis des grands vols, laissait aller chez lui tout à la débandade, insoucieux du coulage effrayant qui triplait ses dépenses ; et l'absence d'une femme se faisait aussi cruellement sentir, jusque dans les pluspetites choses. Lorsque madame Caroline s'aperçut du pillage, elle lui donna d'abord des conseils, puis finit par s'entremettre et lui faire réaliser deux ou trois économies ; si bien qu'en riant, un jour, il lui offrit d'être son intendante : pourquoi pas ? elle avait cherché une place d'institutrice, elle pouvait bien accepter une situation honorable pour elle, qui lui permettrait d'attendre. L'offre, faite en manière de plaisanterie, devint sérieuse. N'était-ce pas une façon de s'occuper, de soulager son frère, avec les trois cents francs que Saccard voulait donner par mois ? Et elle accepta, elle réforma la maison en huit jours, renvoya le chef et sa femme pour ne prendre qu'une cuisinière, qui, avec le valet de chambre et le cocher, devait suffire au service. Elle ne garda aussi qu'un cheval et une voiture, prit la haute main sur tout, examina les comptes avec un soin si scrupuleux, qu'à la fin de la première quinzaine elle avait obtenu une réduction de moitié. Il était ravi, il plaisantait en disant que c'était lui qui la volait maintenant, et qu'elle aurait dû exiger un tant pour cent sur tous les bénéfices qu'elle lui faisait faire.