L'Argent
L'Argent (paragraphe n°2022)
Chapitre XI
Madame Caroline leva les yeux. Elle était arrivée sur la place, et elle vit, devant elle, la Bourse. Le crépuscule tombait, le ciel d'hiver, chargé de brume, mettait derrière le monument comme une fumée d'incendie, une nuée d'un rouge sombre, qu'on aurait crue faite de flammes et des poussières d'une ville prise d'assaut. Et la Bourse, grise et morne, se détachait, dans la mélancolie de la catastrophe, qui, depuis un mois, la laissait déserte, ouverte aux quatre vents du ciel, pareille à une balle qu'une disette a vidée. C'était l'épidémie fatale périodique, dont les ravages balayent le marché tous les dix à quinze ans, les vendredis noirs, ainsi qu'on les nomme, semant le sol de décombres. Il faut des années pour que la confiance renaisse, pour que les grandes maisons de banque se reconstruisent, jusqu'au jour où, la passion du jeu ravivée peu à peu, flambant et recommençant l'aventure, amène une nouvelle crise, effondre tout, dans un nouveau désastre. Mais, cette fois, derrière cette fumée rousse de l'horizon, dans les lointains troubles de la ville, il y avait comme un grand craquement sourd, la fin prochaine d'un monde.