L'Argent
L'Argent (paragraphe n°1924)
Chapitre XI
Saccard avait songé à son frère Rougon, et c'était là ce secours tout-puissant dont il parlait, sans vouloirs'expliquer davantage. S'étant trouvé face à face avec Daigremont, le traître, et lui ayant fait d'amers reproches, il n'en avait obtenu que cette réponse : " Mais, mon cher, ce n'est pas moi qui vous ai lâché, c'est votre frère ! " Evidemment, cet homme était dans son droit : il n'avait fait l'affaire qu'à la condition que Rougon en serait, on lui avait promis Rougon formellement, rien d'étonnant à ce qu'il se fût retiré, du moment où le ministre, loin d'en être, vivait en guerre avec l'Universelle et son directeur. C'était au moins une excuse sans réplique. Très frappé, Saccard venait de sentir sa faute immense, cette brouille avec ce frère qui seul pouvait le défendre, le rendre à ce point sacré, que personne n'oserait achever sa ruine, lorsqu'on saurait le grand homme derrière lui. Et ce fut, pour son orgueil, une des heures les plus dures, celle où il se décida à prier le député Huret d'intervenir en sa faveur. Du reste, il gardait une attitude de menace, refusait toujours de disparaître, exigeait comme une chose due l'aide de Rougon, qui avait plus d'intérêt que lui à éviter le scandale. Le lendemain, comme il attendait la visite promise d'Huret, il reçut simplement un billet, dans lequel, en termes vagues, on lui faisait dire de ne pas s'impatienter et de compter sur une bonne issue, si les circonstances ne s'y opposaient pas, plus tard. Il se contenta de ces quelques lignes, qu'il regarda comme une promesse de neutralité.