L'Argent

L'Argent (paragraphe n°1834)

Chapitre X

Gundermann, le matin où la baronne se présenta, était d'une humeur de dogue. La veille encore, l'Universelle avait remonté. On n'en finirait donc pas, avec cette bête vorace, qui lui avait mangé tant d'or et qui s'entêtait à ne pas mourir ! Elle était bien capable de se relever, de finir de nouveau en hausse, le 31 du mois ; et il grondait de s'être engagé dans cette rivalité désastreuse, lorsque peut-être il aurait mieux valu faire sa part à la maison nouvelle. Ebranlé dans sa tactique ordinaire,perdant sa foi dans la logique fatalement triomphante, il se serait, à cette minute, résigné à battre en retraite, s'il avait pu reculer sans tout perdre. Ils étaient rares chez lui, ces moments de découragement que les plus grands capitaines ont connus, à la veille même de la victoire, lorsque les hommes et les choses veulent leur succès. Et ce trouble d'une vue puissante, si nette d'habitude, venait du brouillard qui se produit à la longue, de ce mystère des opérations de Bourse, sous lesquelles il n'est jamais possible de mettre un nom à coup sûr. Certes, Saccard achetait, jouait. Mais était-ce pour des clients sérieux, était-ce pour la société elle-même ? Il finissait par ne plus le savoir, au milieu des commérages qu'on lui rapportait de toutes parts. Les portes de son cabinet immense claquaient, tout son personnel tremblait de sa colère, il accueillait les remisiers si brutalement, que leur défilé accoutumé se tournait en un galop de déroute.

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