L'Argent
L'Argent (paragraphe n°1830)
Chapitre X
Saccard, le 10, eut malheureusement une terrible journée. A la Bourse, il était toujours superbe de gaieté et de calme. Et jamais guerre pourtant n'avait eu cette férocité muette, un égorgement de chaque heure, le guet-apens embusqué partout. Dans ces batailles de l'argent, sourdes et lâches, où l'on éventre les faibles, sans bruit, il n'y a plus de liens, plus de parenté, plus d'amitié : c'est l'atroce loi des forts, ceux qui mangent pour ne pas être mangés. Aussi se sentait-il absolument seul, n'ayant d'autre soutien que son insatiable appétit, qui le tenait debout, sans cesse dévorant. Il redoutait surtout la journée du 14, où devait avoir lieu la réponse des primes. Mais il trouva encore de l'argent pour les trois jours qui précédèrent, et le 14, au lieu d'amener une débâcle, raffermit l'Universelle, qui, le 15, finit en liquidation à 2 860, en baisse seulement de cent francs sur le derniercours de décembre. Il avait craint un désastre, il affecta de croire à une victoire. En réalité, pour la première fois, les baissiers l'emportaient, touchaient enfin des différences, eux qui en payaient depuis des mois ; et la situation se retournant, lui dut se faire reporter chez Mazaud, lequel se trouva dès lors fortement engagé. La seconde quinzaine de janvier allait être décisive.