L'Argent
L'Argent (paragraphe n°1819)
Chapitre X
Un instant, Saccard, avant de quitter la salle, se haussa, comme pour mieux embrasser la foule autour delui, d'un coup d'œil. Il était réellement grandi, soulevé d'un tel triomphe, que toute sa petite personne se gonflait, s'allongeait, devenait énorme. Celui qu'il semblait ainsi chercher, par-dessus les têtes, c'était Gundermann absent, Gundermann qu'il aurait voulu voir abattu, grimaçant, demandant grâce ; et il tenait au moins à ce que toutes les créatures inconnues du juif, toute la sale juiverie qui se trouvait là, hargneuse, le vît lui-même, transfiguré, dans la gloire de son succès. Ce fut sa grande journée, celle dont on parle encore, comme on parle d'Austerlitz et de Marengo. Ses clients, ses amis s'étaient précipités. Le marquis de Bohain, Sédille, Kolb, Huret, lui serraient les deux mains, tandis que Daigremont, avec le sourire faux de son amabilité mondaine, le complimentait, sachant bien qu'on meurt, à la Bourse, de pareilles victoires. Maugendre l'aurait embrassé sur les deux joues, exalté, exaspéré, en voyant le capitaine Chave hausser quand même les épaules. Mais l'adoration complète, religieuse, était celle de Dejoie, qui, venu du journal en courant, pour connaître tout de suite le dernier cours, restait à quelques pas, immobile, cloué par la tendresse et l'admiration, les yeux luisants de larmes. Jantrou avait disparu, portant sans doute la nouvelle à la baronne Sandorff. Massias et Sabatani soufflaient, rayonnants, comme au soir triomphal d'une grande bataille.