L'Argent
L'Argent (paragraphe n°1761)
Chapitre X
A la corbeille, Mazaud et Jacoby, sortant du cabinet des agents de change, venaient d'entrer, côte à côte, d'un air de correcte confraternité ; ils se savaient pourtant adversaires, dans la lutte sans merci qui se livrait depuis des semaines, et qui pouvait finir par la ruine de l'un d'eux. Mazaud, petit, avec sa taille mince de joli homme, était d'une vivacité gaie, où se retrouvait sa chance si heureuse jusque-là, cette chance qui l'avait fait hériter, àtrente-deux ans, de la charge d'un de ses oncles ; tandis que Jacoby, ancien fondé de pouvoirs, devenu agent à l'ancienneté, grâce à des clients qui le commanditaient, avait le ventre épaissi et le pas lourd de ses soixante ans, grand gaillard grisonnant et chauve, étalant une large face de bon diable jouisseur. Et tous deux, leurs carnets à la main, causaient du beau temps, comme s'ils n'avaient pas tenu là, sur ces quelques feuilles, les millions qu'ils allaient échanger, ainsi que des coups de feu, dans la meurtrière mêlée de l'offre et de la demande.