L'Argent
L'Argent (paragraphe n°1548)
Chapitre IX
D'ailleurs, Saccard, d'un haussement d'épaules, avait déjà jeté de côté cette question de femme, sans intérêt,selon lui. Debout, allant et venant, se plantant devant la fenêtre pour regarder tomber l'éternelle pluie grise, il exhalait sa joie énervée. Oui, l'Universelle avait encore monté de vingt francs, la veille ! Mais comment diable se faisait-il que des vendeurs s'acharnaient ? car la hausse serait allée jusqu'à trente francs, sans un paquet de titres qui était tombé sur le marché, dès la première heure. Ce qu'il ignorait, c'était que madame Caroline avait de nouveau vendu mille de ses actions, luttant elle-même contre la hausse déraisonnable, ainsi que son frère lui en avait laissé l'ordre. Certes, Saccard ne pouvait se plaindre devant le succès grandissant, et cependant, il était agité, ce jour-là, d'un tremblement intérieur, fait de sourde crainte et de colère. Il criait que les sales juifs avaient juré sa perte et que cette canaille de Gundermann venait de se mettre à la tête d'un syndicat de baissiers pour l'écraser. On le lui avait affirmé à la Bourse, on y parlait d'une somme de trois cents millions, destinée par le syndicat à nourrir la baisse. Ah ! les brigands ! Et ce qu'il ne répétait pas ainsi tout haut, c'étaient les autres bruits qui couraient, plus nets de jour en jour, des rumeurs contestant la solidité de l'Universelle, alléguant déjà des faits, des symptômes de difficultés prochaines, sans avoir encore, il est vrai, ébranlé en rien l'aveugle confiance du public.