L'Argent
L'Argent (paragraphe n°1307)
Chapitre VIII
Maintenant, le matin, Saccard, dans son luxueux cabinet Louis XIV, était obligé de défendre sa porte, lorsqu'il voulait travailler ; car c'était un assaut, le défilé d'une cour venant comme au lever d'un roi, des courtisans, des gens d'affaires, des solliciteurs, une adoration et une mendicité effrénées autour de la toute-puissance. Un matin des premiers jours de juillet surtout, il se montra impitoyable, ayant donné l'ordre formel de n'introduire personne. Pendant que l'antichambre regorgeait de monde, d'une foule qui s'entêtait, malgré l'huissier, attendant, espérant quand même, il s'était enfermé avec deux chefs de service, pour achever d'étudier l'émission nouvelle. Après l'examen de plusieurs projets, il venait de se décider en faveur d'une combinaison qui, grâce à cette émission nouvelle de cent mille actions, devait permettre de libérer complètement les deux cent mille actions anciennes, sur lesquelles cent vingt-cinq francs seulement avaient été versés ; et, afin d'arriver à ce résultat, l'action réservée aux seuls actionnaires à raison d'un titre nouveau pour deux titres anciens, serait émise à huit cent cinquante francs, immédiatement exigibles, dont cinq cents francs pour le capital et une prime de trois cent cinquante francs pour la libération projetée. Mais des complications se présentaient, il y avait encore tout un trou à boucher, ce qui rendait Saccard très nerveux. Le bruit des voix, dans l'antichambre l'irritait. Ce Paris à plat ventre, ces hommages qu'il recevait d'habitude avec une bonhomiede despote familier, l'emplissaient de mépris, ce jour-là. Et Dejoie, qui parfois lui servait d'huissier le matin, s'étant permis de faire le tour et d'apparaître par une petite porte du couloir, il l'accueillit furieusement.