L'Argent
L'Argent (paragraphe n°1245)
Chapitre VII
Cependant, le crépuscule assombrissait la salle des épures, que le foyer éteint n'éclairait même pas d'un reflet ; et, dans ces ténèbres accrues, madame Caroline pleurait plus fort. C'était lâche de pleurer ainsi, car elle sentait bien que tant de larmes ne venaient point de son inquiétude sur les affaires de l'Universelle. Saccard, certainement, menait à lui seul le terrible galop, fouaillait la bête avec une férocité, une inconscience morale extraordinaire, quitte à la tuer. Il était l'unique coupable, elle avait un frisson à tâcher de lire en lui, dans cette âme obscure d'un homme d'argent, ignorée de lui-même, où l'ombre cachait de l'ombre, l'infini boueux de toutes les déchéances. Ce qu'elle n'y distinguait pas encore nettement, elle le soupçonnait, elle en tremblait. Mais la découverte lente de tant de plaies, la crainte d'une catastrophe possible, ne l'auraient pas ainsi jetée sur cette table, pleurante et sans force, l'auraient au contraire redressée, dans un besoin de lutte et de guérison. Elle se connaissait elle était une guerrière. Non ! si elle sanglotait si fort, telle qu'une enfant débile, c'était qu'elle aimait Saccard et que Saccard, à cette minute même, se trouvait avec une autre femme. Et cet aveu qu'elle était obligée de se faire, l'emplissait de honte, redoublait ses pleurs, au point de l'étouffer.