Germinal
Germinal (paragraphe n°909)
Partie : Troisième partie, chapitre I
Chaque soir, vers neuf heures, lorsque le cabaret se vidait, Etienne restait ainsi à causer avec Souvarine. Lui buvait sa bière à petits coups, le machineur fumait de continuelles cigarettes, dont le tabac avait, à la longue, roussi ses doigts minces. Ses yeux vagues de mystique suivaient la fumée au travers d'un rêve ; sa main gauche, pour s'occuper, tâtonnante et nerveuse, cherchait dans le vide ; et il finissait, d'habitude, par installer sur ses genoux un lapin familier, une grosse mère toujours pleine, qui vivait lâchée en liberté, dans la maison. Cette lapine, qu'il avait lui-même appelée Pologne, s'était mise à l'adorer, venait flairer son pantalon, se dressait, le grattait de ses pattes, jusqu'à ce qu'il l'eût prise comme un enfant. Puis, tassée contre lui, ses oreilles rabattues, elle fermait les yeux ; tandis que, sans se lasser, d'un geste de caresse inconscient, il passait la main sur la soie grise de son poil, l'air calmé par cette douceur tiède et vivante.