Germinal
Germinal (paragraphe n°891)
Partie : Deuxième partie, chapitre V
Chez Rasseneur, dans la salle éclairée, un machineur et deux ouvriers du jour buvaient des chopes. Mais, avant de rentrer, Etienne s'arrêta, jeta un dernier regard aux ténèbres. Il retrouvait la même immensité noire que le matin, lorsqu'il était arrivé par le grand vent. Devant lui, le Voreux s'accroupissait de son air de bête mauvaise, vague, piqué de quelques lueurs de lanterne. Les trois brasiers du terri brûlaient en l'air, pareils à des lunes sanglantes, détachant par instants les silhouettes démesurées du père Bonnemort et de son cheval jaune. Et, au-delà, dans la plaine rase, l'ombre avait tout submergé, Montsou, Marchiennes, la forêt de Vandame, la vaste mer de betteraves et de blé, où ne luisaient plus, comme des phares lointains, que les feux bleus des hauts fourneaux et les feux rouges des fours à coke. Peu à peu, la nuit se noyait, la pluie tombait maintenant, lente, continue, abîmant ce néant au fond de son ruissellement monotone ; tandis qu'une seule voix s'entendait encore, la respiration grosse et lente de la machine d'épuisement, qui jour et nuit soufflait.