Germinal
Germinal (paragraphe n°1454)
Partie : Quatrième partie, chapitre III
Dehors, la nuit tombait déjà, un nuit glaciale, et la tête basse, Etienne marchait, pris d'une tristesse noire. Ce n'était plus de la colère contre l'homme, de la pitié pour la pauvre fille maltraitée. La scène brutale s'effaçait, se noyait, le rejetait à la souffrance de tous, aux abominations de la misère. Il revoyait le coron sans pain, ces femmes, ces petits qui ne mangeraient pas le soir, tout ce peuple luttant, le ventre vide. Et le doute dont il était effleuré parfois s'éveillait en lui, dans la mélancolie affreuse du crépuscule, le torturait d'un malaise qu'il n'avait jamais ressenti si violent. De quelle terrible responsabilité il se chargeait ! Allait-il les pousser encore, les faire s'entêter à la résistance, maintenant qu'il n'y avait ni argent ni crédit ? et quel serait le dénouement, s'il n'arrivait aucun secours, si la faim abattait lescourages ? Brusquement, il venait d'avoir la vision du désastre : des enfants qui mouraient, des mères qui sanglotaient, tandis que les hommes, hâves et maigris, redescendaient dans les fosses. Il marchait toujours, ses pieds butaient sur les pierres, l'idée que la Compagnie serait la plus forte et qu'il aurait fait le malheur des camarades l'emplissait d'une insupportable angoisse.