Germinal
Germinal (paragraphe n°1018)
Partie : Troisième partie, chapitre II
Jusqu'à dix heures, on resta. Des femmes arrivaient toujours, pour rejoindre et emmener leurs hommes ; des bandes d'enfants suivaient à la qu'elle ; et les mères ne se gênaient plus, sortaient des mamelles longues et blondescomme des sacs d'avoine, barbouillaient de lait les poupons joufflus ; tandis que les petits qui marchaient déjà, gorgés de bière et à quatre pattes sous les tables, se soulageaient sans honte. C'était une mer montante de bière, les tonnes de la veuve Désir éventrées, la bière arrondissant les panses, coulant de partout, du nez, des yeux et d'ailleurs. On gonflait si fort, dans le tas, que chacun avait une épaule ou un genou qui entrait chez le voisin, tous égayés, épanouis de se sentir ainsi les coudes. Un rire continu tenait les bouches ouvertes, fendues jusqu'aux oreilles. Il faisait une chaleur de four, on cuisait, on se mettait à l'aise, la chair dehors, dorée dans l'épaisse fumée des pipes ; et le seul inconvénient était de se déranger, une fille se levait de temps à autre, allait au fond, près de la pompe, se troussait, puis revenait. Sous les guirlandes de papier peint, les danseurs ne se voyaient plus, tellement ils suaient ; ce qui encourageait les galibots à culbuter les herscheuses, au hasard des coups de reins. Mais, lorsqu'une gaillarde tombait avec un homme par-dessus elle, le piston couvrait leur chute de sa sonnerie enragée, le branle des pieds les roulait, comme si le bal se fût éboulé sur eux.