Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°406)

Chapitre III

Tous deux parlaient du baron Hartmann, directeur du Crédit Immobilier. Madame Desforges, fille d'un conseiller d'Etat, était veuve d'un homme de Bourse qui lui avait laissé une fortune, niée par les uns, exagérée par les autres. Du vivant même de celui-ci, disait-on, elle s'était montrée reconnaissante pour le baron Hartmann, dont les conseils de grand financier profitaient au ménage ; et, plus tard, après la mort du mari, la liaison devait avoir continué, mais toujours discrètement, sans une imprudence, sans un éclat. Jamais madame Desforges ne s'affichait, on la recevait partout, dans la haute bourgeoisie où elle était née. Même aujourd'hui que la passion du banquier, homme sceptique et fin, tournait à une simple affection paternelle, si elle se permettait d'avoir des amants qu'il lui tolérait, elle apportait, dans ses coups de cœur, une mesure et un tact si délicats, une science du monde si adroitement appliquée, que les apparences restaient sauves et que personne ne se serait permis de mettre tout haut son honnêteté en doute. Ayant rencontré Mouret chez des amis communs, elle l'avait détesté d'abord ; puis, elle s'était donnée plus tard comme emportée dans le brusque amour dont il l'attaquait, et, depuis qu'il manœuvrait de manière à tenir par elle le baron, elle se prenait peu à peu d'une tendresse vraie et profonde, elle l'adorait avec la violence d'une femme de trente-cinq ans déjà, qui n'en avouait que vingt-neuf, désespérée de le sentir plus jeune, tremblant de le perdre.

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