Denise, cependant, ne songeait guère à ces choses. Elle n'avait jamais eu ni une exigence ni un calcul. Et la situation qui la décidait au départ, était justement résultée des jugements qu'on portait sur sa conduite, à sa continuelle surprise. Est-ce qu'elle avait voulu tout cela ? est-ce qu'elle se montrait rusée, coquette, ambitieuse ? Elle était venue simplement, elle s'étonnait la première qu'on pût l'aimer ainsi. Aujourd'hui encore, pourquoi voyait-on une habileté dans sa résolution de quitter le Bonheur ? C'était si naturel pourtant ! Elle en arrivait à un malaise nerveux, à des angoisses intolérables, au milieu des commérages sans cesse renaissants de la maison, des brûlantes obsessions de Mouret, des combats qu'elle avait à livrer contre elle-même ; et elle préférait s'éloigner, prise de la peur de céder un jour et de le regretter ensuite toute son existence. S'il y avait là une tactique savante, elle l'ignorait, elle se demandait avec désespoir comment faire, pour n'avoir pas l'air d'être une coureuse de maris. L'idée d'un mariage l'irritait maintenant, elle était décidée à dire non encore, non toujours, dans le cas où il pousserait la folie jusque-là. Elle seule devait souffrir. La nécessité de la séparation la mettait en larmes ; mais elle se répétait, avec son grand courage, qu'il le fallait, qu'elle n'aurait plus de repos ni de joie, si elle agissait autrement.