Au Bonheur des dames
Au Bonheur des dames (paragraphe n°2447)
Chapitre XII
Alors, Mouret acheva de perdre toute tranquillité. Il n'eut plus le courage de revenir sur cette conversation, il vécut dans la continuelle attente d'une catastrophe, où son cœur resterait broyé. Et son tourment le rendit terrible, la maison entière trembla. Il dédaignait de se cacher derrière Bourdoncle, il faisait lui-même les exécutions, dans un besoin nerveux de rancune, se soulageant à abuser de sa puissance, de cette puissance qui ne pouvait rien pour le contentement de son désir unique. Chacune de ses inspections devenait un massacre, on ne le voyait plus paraître, sans qu'un frisson de panique soufflât de comptoir en comptoir. Justement, on entrait dans la morte-saison d'hiver, et il balaya les rayons, il entassa les victimes, poussant tout à la rue. Sa première idée était de chasser Hutin et Deloche ; puis, il avait réfléchi que, s'il ne les gardait pas, il ne saurait jamais rien ; et les autrespayaient pour eux, le personnel entier craquait. Le soir, quand il se retrouvait seul, des larmes lui gonflaient les paupières.