Au Bonheur des dames
Au Bonheur des dames (paragraphe n°1965)
Chapitre X
Alors, Clara dut s'occuper des brassées de vêtements empilés sur les tables. Elle les bouscula, gagna de la place. Mais bientôt elle les lâcha encore, pour répondre à un vendeur qui la cherchait. C'était le gantier Mignot, échappé de son rayon. Il chuchota une demande de vingt francs ; déjà, il lui en devait trente, un emprunt pratiqué un lendemain de courses, après avoir perdu sa semaine sur un cheval ; cette fois, il avait mangé à l'avance sa guelte touchée la veille, il ne lui restait pas dix sous pour son dimanche. Clara n'avait sur elle que dix francs, qu'elle prêta d'assez bonne grâce. Et ils causèrent, ils parlèrent d'une partie à six, faite par eux dans un restaurant de Bougival, où les femmes avaient payé leur écot : ça valait mieux, tout le monde était à son aise. Puis, Mignot, qui voulait ses vingt francs, alla se pencher à l'oreille de Lhomme. Celui-ci, arrêté dans ses écritures, parut saisi d'un grand trouble. Il n'osait refuser pourtant, il cherchait une pièce de dix francs dans son porte-monnaie, lorsque madame Aurélie, étonnée de ne plus entendre la voix de Marguerite, qui avait dû s'interrompre, aperçut Mignot et comprit. Elle le renvoya rudement à son rayon, elle n'avait pas besoin qu'on vîntdistraire ces demoiselles. La vérité était qu'elle redoutait le jeune homme, le grand ami de son fils Albert, le complice de farces louches qu'elle tremblait de voir mal finir un jour. Aussi, lorsque Mignot tint les dix francs et qu'il se fut sauvé, ne put-elle s'empêcher de dire à son mari :